Tic-tac, tic-tac, tic-tac...

Elle se redresse, passant subitement de l'horizontale à l'équerre. Un bras, le droit, s'étend - le buste l'accompagne vaguement - et va chercher sur la table basse la pochette, celle qui, dans son camaïeu de rouges, arbore des motifs un peu tribaux, un peu africains, ou quelque chose approchant. Le subtil clic du bouton pressoir et voilà que la main gauche fouille et sort deux sachets ainsi que le petit paquet cartonné dont elle extrait une feuille. Elle ouvre le tabac, ignorant l'illustration vomitive et le message qui enfonce le clou sur un fond noir brillant et prémonitoire. L'enfer des buralistes. Piochant généreusement, elle dépose au creux de la rigole que forme la feuille une touffe hirsute de tabac blond et sec après s'être collé au coin des lèvres un filtre OCB bio, bio comme la feuille OCB bio. Mais bio pour quoi faire, au juste ? Est-ce à dire que la terre n'aura plus à souffrir de la négligence des fumeurs à son égard, lorsque, d'une nonchalante pichenette, ils envoient valdinguer le résidu de clope ? Ou bien est-ce un message inversement incitatif à celui du tabac qui évoque un encrassement des poumons dans le respect des préconisations de l'OMS ? Il faut être fumeur pour n'avoir pas à s'encombrer de telles questions.

Les bras collés le long des flancs, elle s'ingénie à assembler les trois éléments en un habile cylindre. L'ultime accessoire vient mettre fin à ce rituel en déclarant sa flamme à une des extrémités de la cigarette ainsi confectionnée. Une buccale bouffée pour attiser le foyer et tout l'attirail retrouve sa place dans la pochette qui, à son tour, retourne sur la table. Elle, elle retrouve son horizontale position, tandis qu'entre dans la danse la fumée et que l'espace se remplit de son tourbillonnant parfum à mesure que diminue la cancéreuse. Deux doigts, une bouche, un aller-retour machinal qui trouve une fin au terme de la combustion. Le cendrier qui, tout ce temps, collectait le fruit de cette rougeoyante opération se fait le réceptacle du mégot qu'elle écrase. Une pression sur le mécanisme et le plateau métallique descend et tourne, envoyant rejoindre en son sein ce qui n'est plus qu'un temporaire apaisement.

Tic-tac, tic-tac, tic-tac...